L'observation et la routine
- johannfotsing
- 28 juin
- 4 min de lecture
Par moments la vie semble une répétition fade et interminable de mêmes choses. La même marche de la Terre autour du Soleil, la même danse de la Lune autour de la Terre, le même tourbillon de la Terre sur lui-même, les mêmes saisons qui vont et viennent, le même brûlant de l'été, le même désert dans les rues, les mêmes journées se succèdent, les mêmes weekends, leurs mêmes loisirs, le même train, le même métro, le même bus, les mêmes horaires, les mêmes visages, fondus dans le même silence, le même boulot, les mêmes problèmes, les mêmes insomnies, les mêmes réveils. Les mêmes choses semblent obstinées à nous étourdir avec leur éternelle et intraitable insipidité.
Pourtant au fond de nous quelque part, il y a quelque chose qui ne cesse d’espérer, silencieusement, que la vie nous surprenne, un jour. Sera-ce aujourd'hui ? Les impatients comme moi ont quelques astuces pour arracher de force la surprise à la vie, comme refuser catégoriquement de regarder la météo pour ne jamais manquer d'être surpris par la pluie; c'est toujours cela de pris. J'espère que vous n'attendiez pas de moi un conseil d'un style aussi éloquent que "sortez de votre zone de confort". Je ne suis pas un coach en développement personnel (pas encore, pas en cette vie). Moi, c'est à peine si je ne vous mène pas en bateau. Il faut aimer la mer, le chant des mouettes, le vent frais et la berceuse des vagues.
Et puis il fait trop chaud pour être sérieux. Comment me prendre au sérieux quand la grosse mouche d'été (je suis sûr que vous la connaissez celle-là) me nargue sans cesse, quand je sens le sel colmater mes pores, quand je sens la sueur ruisseler par tous les chemins que les plis de mon visage rendent possibles, comme ces condensats d'humidité autour de mon pastis pendant que fondent ses glaçons ? Comment ? Il fait trop chaud pour être sérieux, mais essayons. Un peu plus sérieusement donc, je souhaite juste partager une perspective intéressante que j'ai récemment découverte aux premières pages des Exercices d'observation de Nicolas Nova.
Au départ de toute œuvre intellectuelle et artistique humaine se trouve l'observation. On commence toujours par observer; c'est ainsi que l'esprit se nourrit. D'ailleurs tout le monde sait observer, d'instinct; et c'est en faisant confiance à cette faculté que l'éducation devient possible. Les enfants sont les meilleurs à ce jeu; impatients qu'ils sont de comprendre ce monde où les adultes, apparemment très assurés, semblent se mouvoir allègrement (ah s'ils savaient !). Les adultes ont tendance à oublier cette faculté, finalement un peu banale; on a déjà eu l'enfance pour apprendre des choses, maintenant il faut qu'elles nous servent, il faut se focaliser sur l'essentiel et être "productif". Pourtant, observer, pourrait être l'une des meilleures réponses au tourment de la routine.
Quand on est adulte, on n'observe pas comme un enfant. Pour la simple raison qu'on ne s'y sent même pas autorisé. On a peur d'avoir l'air hagard, naïf; cela nous ferait passer pour des gens ou crédules, ou oisifs, ou incultes, ou impressionnables ou tout cela à la fois. Pourtant on est mieux outillé pour l'activité: on sait lire, on sait écrire, on sait rechercher et catégoriser l'information. Mais il faut commencer par s'autoriser à observer. Se donner le droit de remarquer une table, une chaise, un écran, un clavier, le son des doigts sur ses touches, la difficulté à débarrasser ses interstices de la poussière, etc. S'il arrive que l'on s'autorise à mener une activité similaire, j'ai nommé la méditation, c'est seulement souvent pour nous retrouver à jouer à une course poursuite mentale avec les mêmes pensées qui nous hantent sans cesse. Observer c'est s'autoriser à méditer, mais de façon active; c'est comme accepter de voyager, dans l'ici.
Je me suis essayé, tant bien que mal (cinq petites minutes m'ont suffi), au premier exercice que propose Nicolas Nova qui consiste à de noter toutes les choses qui se passent autour de soi. Je l'ai fait dans le train que je prends tous les jours depuis plusieurs années pour me rendre au travail, et toutes les choses qui semblaient familières quand je les survolais d'un coup d’œil furtif avant de me plonger dans mes pensées, ont commencé comme à me parler. Les maisons au milieu des champs, prises entre les rails des trains d'un côté et l'autoroute de l'autre, se sont mises à m'intriguer. Je me suis retrouvé à me demander la raison derrière l'ondulation des tôles de tous ces entrepôts industriels. De menues choses somme toute. Mais je me suis particulièrement délecté de cette conscience de la réalité qui m'entourait, peut-être simplement parce que c'est rafraîchissant d'expérimenter et de sentir que la vie n'aura jamais fini de nous surprendre.
Observer permet de remarquer des petites choses parfois assez anodines, juste assez pour provoquer un petit sourire, une petite curiosité, une réponse simple à une vieille intrigue qui attendait quelque part dans l'esprit comme un pied de chaussette dans un coin jamais visité de la maison, attend désespérément de retrouver son frère. Observer offre des menus bonheurs de la sorte, susceptibles de mener un esprit vers des contrées jamais explorées, et ce sans agresser les frontières de sa "zone de confort". Et si vous ne croyez pas au pouvoir des petites choses, je vous propose de vous rappeler que toute la musique se construit autour de douze "petites" notes; et c'est en les observant faire leurs vies, qu'un Richard Bona est capable de nous servir ces sonorités dont on ne se lasse jamais (comme quoi certaines routines peuvent être agréables).
Bon, je m'arrête ici, je retourne à mon pastis. Salut.
"Il ne faut jamais cesser d'aller Voir" disait Jacques Brel.