La barbarie ne peut taire notre "non"
- johannfotsing
- 6 août
- 6 min de lecture
Horreurs en sissiacraties
Il y a quelques temps, je prenais sur le média BLAST des nouvelles de la situation de crise politique au Togo, un pays proche du Cameroun de part son passé allemand et de la violence de sa dictature. J'avais été particulièrement choqué par des images dont mes mots ne sauront certainement pas rendre l'atrocité. L'interview a rapidement montré une sorte de fosse rectangulaire qui faisait office de cellule d'isolement dans une prison. Y étaient entassés, couchés sur leurs dos, avec aucun espace pour se retourner, alternant couchage dans un sens de la largeur de la fosse puis dans l'autre; non pas des sardines (on aurait vraiment pu le croire), non pas des poules d'élevage, ou même des serpents dans un zoo, mais ni plus ni moins que des êtres humains. La fosse était tellement exigüe que couché, toute la longueur d'un corps d'homme ne pourrait s'y déployer complètement, de sorte qu'allongés sur leurs dos, ces êtres humains étaient contraints de garder leurs jambes verticales, posées tant bien que mal sur le mur opposé à leur tête.
On entend souvent parler de la violence et de la torture qu'infligent les forces de l'ordre (pourtant sensées protéger les citoyens) de nos États sissiacratiques. Nous avons même appris à banaliser ce genre d'informations, à les laisser entrer par une oreille et puis ressortir par l'autre. Il est si difficile d'empathiser pleinement à un tel niveau de souffrance, de nous imaginer subissant le même sort, d'affronter la peur que cette souffrance inspire. Tellement que nous préférons ne pas imaginer, que nous préférons détourner le regard, et aller jusqu'à nous faire une raison. On s'affaisse silencieusement à penser que ces êtres humains que l'on traite moins que des bêtes, ont bien dû commettre une forme de crime. Assurément quelque chose de grave, quelque chose que l'on se promet de ne jamais essayer, que l'on jure en son for intérieur d'éviter absolument.
Toutefois, si on parvient à laisser nos yeux sur ce que nos frères en humanité subissent, eux qui souvent n'ont commis pour seul crime que de désavouer publiquement un régime de voleurs et de tortionnaires. Quand on se laisse toucher par ces images, qu'on les aide à trouver leur chemin jusqu'à notre esprit, on est contraint, pour ne pas voir, impuissant, mourir notre humanité avec celles de nos frères torturés, pour ne pas se sentir indéfiniment hanté par l'horreur, d'en faire un minimum de sens. Du sens ? Mais qu'est-ce qui peut justifier que l'on traite ainsi un être humain ? Quel sens il y a t-il à trouver dans tant d'horreur ? Quel crime rabaisse autant l'Homme, qu'il l'amène à mériter de tels traitements ?
Hier encore, des Camerounais s'étaient spontanément réunis sur la voie principale menant au Palais des Congrès de Yaoundé, où le Cameroun entier attendait de savoir comment la Cour Constitutionnelle allait juger de l'affaire ubuesque du rejet de la candidature de Maurice Kamto porté par le MANIDEM. Ces Camerounais, préoccupés du devenir de leur pays, ont dû affronter la charge de policiers déterminés à les tenir le plus loin possible d'un procès pourtant public, et traitant non moins que du destin de la nation Camerounaise. Suite à ces échauffourées, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun par la voie de son président Mamadou Mota, a déploré et condamné l'enlèvement de certains de ces Camerounais et leur conduite vers des destinations inconnues. Qui sait ce qu'il adviendra de ces gens avant qu'on ne les trouve et qu'on ne les défende ?
C'est qu'il était question de tenir le peuple camerounais à très bonne distance d'un leader populaire, de lui empêcher d'exprimer la moindre indignation face à ce rejet injuste d'une candidature très attendue, et d'isoler l'opposant Kamto d'un soutien populaire qui fait peur à un régime moulé dans la brutalité. Injuste le rejet puisque l'organisme en charge de l'organisation des élections au Cameroun, ELECAM, l'a motivé par une pluralité de candidature pour le MANIDEM qui a investi Maurice Kamto. Or, la supposée deuxième candidature, supposément du même MANIDEM, était celle d'un homme qui avait été exclu du parti depuis plusieurs années, et qui, sorti du bois, s'est tout bonnement prétendu président du parti. Voilà l'abjecte ridicule que l'on emploie pour sceller le destin du peuple camerounais dans la caverne où il est contraint.
"Descends dire ça ici au pays"
C'est que je me suis entendu dire par un ami, quand j'ai écrit en statut WhatsApp "No Kamto, No Election." à la suite de la décision inique d'ELECAM qui éliminait l'opposant principal au régime Yaoundé pour la course présidentielle du 12 Octobre 2025. C'est ce que s'entend dire tout Camerounais qui, vivant à l'extérieur du pays, estime qu'il est nécessaire de confronter sérieusement le régime de Yaoundé. Cette phrase est une claque. Elle provoque une éruption en même temps qu'un sourd désespoir, et l'on se débat difficilement du vaste remous et de la confusion qu'elle crée en nous. En fait on est pris par la culpabilité que nos frères nous infligent quand ils insinuent que l'on veut les sacrifier à l'ogre. On ne sait pas quoi répondre quand on sait soi-même la peur qui nous habite. On regarde défait la satisfaction de nos frères quand ils nous clouent le bec avec la cinglante réplique. Que répondre à ça ? Je saute dans le prochain avion ? Ou "non, en fait je suis trop peureux pour dire ça au Cameroun, je suis bien dans le douillet de ma couette ici, à pianoter de sagesse sur mon téléphone" ?
Pourtant si la question laisse pantois, et mène la discussion à une impasse, c'est pour la bonne raison qu'elle est purement et simplement une manipulation. En réalité la réplique est hors de propos. A quel point faut-il avoir peur des représailles d'un État tortionnaire pour que "No Kamto, No Election." constitue une invitation à la guerre civile ? Il s'agit pourtant simplement d'exprimer son indignation face à une injustice criarde, un mépris outrageux des aspirations populaires par des hommes sans loi, de formuler son exaspération face à l'inique pugnace d'une clique d'hommes égoïstes, gourmands et corrompus. A quel point faudrait il que l'effroi ait envahi notre culture pour que nous nous soustrayons ainsi, sans vergogne, à notre obligation morale et humaine élémentaire ? Si la liberté d'expression est consacrée comme un droit fondamental, c'est bien parce que c'est la toute première arme dont nous disposons pour défendre notre humanité et notre intégrité. Mongo Beti écrivait, "Malheur aux peuples sans voix !".
Notre "non" a du pouvoir
Quand ils s'insurgent à voix haute contre l’injustice de la sissiacratie, les Camerounais de l'étranger savourent seulement de pouvoir exprimer ce qui a longtemps été réprimé. Quand on est attaché à la liberté et qu'on en rêve pour le Cameroun, la vie à l'étranger a l'humeur maussade d'un exil. Quand on dit "No Kamto, No Election", on veut exprimer une exaspération; on ne demande pas à nos frères d'aller se livrer gratuitement à la torture. On ne peut pas aimer son prochain et le pousser à la tombe. Mais peut-on aimer son prochain et supporter de le voir se résigner face à une clique de gens qui lui volent ses aspirations, de voir sa vie se rétrécir sous les filets de rapaces ? Je refuse de croire que notre peur est elle que l'on ne sait même plus reconnaître l'injustice et lui dire non. Que l'on commence par dire non ne serait-ce que dans le silence de son cœur, et que l'on répète le non jusqu'à ce que naisse la foi. Et peut-être qu'un jour le non revigorera notre corps, il montera jusqu'à nos lèvres, qu'il voudra être scandé, jusqu'à ce que la face du Cameroun change. "Apprenez à dire non, non, non", a chanté Petit Pays dans Frotambo.
Le non qu'il faut dire, est nécessaire pour préserver son intégrité face à l'injuste et inhumain perpétré par ceux qui nous dirigent sans aucune légitimité. Mais il est aussi le soutien dont on ne peut priver ceux qui plient sous l'arbitraire du régime de Yaoundé, en essayant avec toutes leurs ressources dont ils peuvent disposer de ne pas casser. Quand nous voudrions laisser peur retenir notre non, rappelons nous que nous serions en train d'abandonner à leur sort ceux qui (et heureusement qu'il n'en manque jamais) auront le courage de porter notre voix silencieuse sur la voie publique. D'ailleurs combien de Camerounais vivent des années de prison pour avoir demandé une résolution pacifique de la crise dans les régions anglophones ? Et que l'on ne se fourvoie pas en choisissant de croire que ce ne sont que des manigances politiques. Quand on assassine aussi sauvagement des journalistes, ce n'est pas parce qu'il est un homme politique, mais simplement parce qu'il dénonce les crimes du régime. Un régime capable d'une telle violence et d'une telle avidité se nourrit de la souffrance du peuple qu'il réduit en esclavage. De même quand on élimine sans aucune forme de vergogne, par des manigances rocambolesques, un candidat à la présidentielle aussi populaire que Maurice Kamto, ce n'est pas une affaire politique, mais d'abord une nécessité de taire toute aspiration du peuple. Le problème de la sissiacratie est bien plus d'ordre moral que d'ordre politique. Et la morale commence quand on accepte de dire non à l'inique.
Il n'est donc pas question de réprimer notre "non".
Parce qu'il n'est pas question de s'abandonner silencieusement à la mort,
Alors même que l'on respire encore.
Parce que le Cameroun en a grandement besoin.
La barbarie ne peut taire notre "non".
Références
Togo: Une révolution populaire veut la chute du régime, BLAST, Le souffle de l'info (chaîne YouTube), https://www.youtube.com/watch?v=NEOuU1uNnN4
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