L'institutionnalisation du sissia: le sissia originel et les tribulations du pouvoir illégitime
- johannfotsing
- 5 mai
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Introduction
J'avançais dans un précédent article que le problème du sissia au Cameroun ce n'est pas seulement le problème général de la violence dans les sociétés humaines. Le problème du sissia est qu'il est une institution, un mode de gouvernance, ce qui amène à parler de sissiacratie. Posons que le Cameroun est un semblant de démocratie, et une quasi-dictature. Constatons que le sissia est le sport psychologique national. En quoi est-ce que ces deux observations seraient liées ? En quoi est-ce que le système politique camerounais serait à l'origine de l'attitude prédatrice que les Camerounais se réservent les uns aux autres ? Peut-être est-ce exagéré de parler de prédation. Jean-Pierre Bekolo lui, parle de jalousie et d'envie, amplifiées chez les Camerounais par la rareté des ressources et des possibilités (1). Il présente la foi en l'avenir comme antidote. Seulement, est-il possible à l'Homme d'avoir foi en l'avenir dans un contexte où il lui est dangereux de lever la tête ? Car l'interdiction de lever la tête est orchestrée, de façon minutieuse, par la sissiacratie. Le sissia, cette attitude de prédation que les Camerounais se vouent, relève davantage d'une construction politique que d'une maladie tropicale dont le traitement reste à trouver. J'essaierai de montrer les colonnes de cette construction, dans une série d'articles sur l'institutionnalisation du sissia, qui commence par celui-ci.
La violence est l'expression de l'illégitimité
Toutes les dictatures ne se valent pas, de même que toutes les démocraties ne se sont pas de la même qualité. Plutôt que cet étiquetage binaire, le véritable enjeu du pouvoir dans un Etat est de répondre aux aspirations de son peuple, en lui facilitant le travail de construction de son devenir. Un peuple fait confiance à un pouvoir pour organiser le bien et le devenir communs. Cette confiance accordée par le peuple crée dans le pouvoir étatique un sentiment de légitimité et de sécurité qui lui permet d'agir librement, avec pour seule boussole l'intérêt du peuple qui lui accorde sa confiance. Pour illustration, Biya ne pourrait pas, comme Ibrahim Traoré, soutenir que la démocratie ne peut être qu'un aboutissement, et puis recevoir quelques temps après le soutien total des Camerounais comme les Burkinabè ont récemment manifesté leur soutien à Ibrahim Traoré. De même, Ibrahim Traoré n'a certainement pas besoin de mater son peuple à la manière de Biya, malgré le caractère directif inhérent à la nature militaire de son régime. C'est la légitimité qui détermine la qualité d'un pouvoir; un pouvoir illégitime est condamné à entretenir la violence et la perversion.
L'illégitimité à la racine du sissia
Le sissia originel
La pierre angulaire de l'institutionnalisation du sissia est la dénaturation et le dévoiement du processus électoral. De processus par lequel un peuple choisit ses dirigeants, les élections sont transformées en un vaste jeu de dupes, un rituel vide permettant de reconduire des hommes connus d'avance au pouvoir. C'est l'acte de sissia originel; la fondation qui soutient tout l'édifice qui tient lieu d'institution en sissiacratie. Par cet acte, le système politique renonce en toute conscience à sa légitimité, faisant primer son attachement à la position de pouvoir sur le respect de l'aspiration du peuple et le bien commun. Il indique clairement sa détermination à conserver ce pouvoir, à tous les prix, pour la seule satisfaction de son plaisir. La sissiacratie affirme que rien dans tout un pays, même pas l'aspiration du peuple qui y vit, n'est au-dessus de l'appétit personnel, de l'avidité d'un homme.
En sissiacratie, on ne vole pas seulement; on ment aussi très habilement, et c'est peut-être le plus pernicieux. Le mensonge n'est pas dangereux simplement parce qu'il fait entorse à la vérité, mais son caractère néfaste vient de ce qu'il rend automatiquement l'Homme impuissant devant une réalité qu'il lui interdit de voir et de comprendre. Les élections en sissiacratie donnent au peuple l'illusion plus ou moins crédible de voter, de choisir leurs dirigeants. Elles suggèrent à chacun que les hommes et les femmes avec qui il fait peuple, sont les complices de son malheur, et qu'au fond ils supportent voire aiment la tyrannie qu'ils subissent. Ces suggestions s'installent progressivement dans les esprits où elles prennent racines, jusqu'à fleurir en résignation.
Au Cameroun, on fait passer les élections pour une sorte de spectacle où l'homme politique le plus "fort" doit séduire par son triomphe sur les autres. Or avec des règles truquées, la parade ne sert qu'à donner une impression d'habileté politique au tyran. Pourtant, le vol pur et simple du pouvoir ainsi dissimulé derrière un semblant d'élections, est bien moins un tort causé aux opposants qui concourent à ces élections factices, qu'au peuple à qui on enlève le droit d'entretenir ne serait-ce qu'une aspiration, le droit d'exprimer une volonté élémentaire. Si l'on n'a pas peur d'utiliser une pointe de cynisme, on peut dire que c'est la brimade du peuple dans toute sa "splendeur". Que vaut une poignée d'opposants, aussi géniaux soient ils, devant la marée de Camerounais à qui l'on soutire le droit de se déterminer ?
Toute position illégitime est insécure
Après avoir honteusement volé un siège que l'on sait en son for intérieur ne pas mériter, comment ne pas utiliser son pouvoir usurpé pour essayer d'embaumer la puanteur de sa honte et de son indignité ? Quand on vit avec la conscience de compromettre plus de 30 millions de destinées, comment ne pas se sentir submergé par l'insécurité ? Comment ne pas sombrer dans la paranoïa ? Comment ne pas faire déborder son tourment sur les gens autour de soi ? Comment ne pas se transformer en tortionnaire de son propre entourage ? Au Cameroun, ce n'est peut-être pas, comme on le rabâche sur les plateaux de télévision, l'entourage du président qui est un problème. Il est bien plus probable que ce soit le président qui représente le plus gros problème de son entourage.
La distance que Paul Biya maintient entre lui et le peuple Camerounais qu'il est sensé diriger, est d'abord imposée par sa profonde insécurité. Ne disposant que de la force du pouvoir qui lui produit un sentiment de supériorité, il se retrouve contraint de développer du mépris pour le peuple Camerounais, afin de se dissimuler à lui-même l'intranquillité qui le hante. C'est toujours pour dissimuler la fragilité de sa position que, dans une esbroufe éhontée, il donne à sa distance une coloration de mystère, et n'hésite pas à auréoler son image d'un semblant de divinité (quand il se fait appeler nnomgui, achète des "bénédictions" de chefs traditionnels de part le pays, etc.). Aux mêmes citoyens que son "règne" stérile appauvrit, affame, matraque, tenaille de la chair jusqu'aux entrailles, puis finit par ôter à la vie, il se présente comme magnanime. Et quand il utilise l'argent du contribuable camerounais pour offrir un secours de fortune aux populations sinistrées, il fait appeler cela "don du chef de l’État".
Conclusion
Si au Cameroun le système électoral n'arrive à produire que Paul Biya comme président, c'est parce que Paul Biya est le maître d'ouvrage de cette gigantesque escroquerie. Il orchestre la perversion du système électoral pour en bénéficier en premier lieu. L'homme qu'il est ne peut s'imaginer une vie sans la jouissance des privilèges de la position de pouvoir. Sa cupidité éteint en lui le sens moral. Son usurpation du pouvoir est un renoncement catégorique à la moralité et à la paix de l'esprit. L'homme vit en réalité avec la conscience tourmentée par la précarité et la fragilité de sa position, prisonnier d'une vénalité qui lui ôte le courage de renoncer à cette même position. Les apparitions sporadiques d'un président clairement en fin de vie pourraient porter à minimiser son incidence sur la vie du pays (à tout mettre sur le dos de son "entourage"), pourtant son illégitimité et l'action non médiatisée qui en découle constituent le poison qui s'infiltre jusque dans des profondeurs insoupçonnées de la société camerounaise.
Parce que le bavardage c'est mô, mais que l'action c'est mieux...
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Références
Jean-Pierre Bekolo (3 Décembre 2024), Guérir les Camerounais de la jalousie, LinkedIn (https://www.linkedin.com/pulse/gu%C3%A9rir-les-camerounais-de-la-jalousie-jean-pierre-bekolo-xlewf/?trackingId=RvKOje4uSuej4mfAB4r%2F1A%3D%3D)
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