La religion comme refuge
- johannfotsing
- 5 juil.
- 4 min de lecture
C'est Samedi roue libre, mais je suis à court d'idée assez intéressante pour que mes doigts se mettent à galoper sur le clavier, que mon esprit se sente libre de déblatérer jusqu'à ce qu'il y en ait trop pour votre lecture (parce qu'il vaut mieux trop que pas assez). Et comme Dieu sait faire ses choses, je tombe sur cet article de Ronel Kouakep, dans lequel il parle de la nécessité pour les Africains d'"héroïser" leurs hommes les plus féroces. J'aime le lire parce que sa posture globale, si je l'ai bien cernée jusqu'ici, c'est d'accepter de vivre la rage et l'indignation que nous impose la situation de notre continent, de nos pays Africains, et d'utiliser ces sentiments, comme carburant pour se battre et renverser l'ordre des choses. Cela vaut mieux que fuir, pour les plus malchanceux par le désert, pour d'autres par le visa étudiant, par les passeports talents et les naturalisations en Occident.
Ce qui aujourd'hui a particulièrement retenu mon attention, c'est sa référence aux pasteurs, ces hommes qui jouissent d'une influence incroyable au sein des populations africaines, en grande partie grâce aux moyens du virtuel, des réseaux sociaux. Dieu sait que je ne pense pas haut de ces hommes qui, ayant l'occasion de parler aux gens de la réalité de leurs conditions, jouent d'artifices pour se donner un semblant d'autorité et de sagesse en ne parlant que de sujets à côté, ou de choses nuageuses. Dans un monde où le lien social est de plus en plus éprouvé, où les identités se fragmentent, où l'on se sent de plus en plus perdu et en insécurité, leur semblant d'assurance est pourtant un oasis à l'attrait irrésistible. Ce qui me désole, moi, c'est qu'ils finissent par être des obstacles entre leurs fidèles et Dieu. Et que tout le monde oublie que Dieu est dans la brise légère.
Pour la petite histoire, je suis redevenu chrétien il n'y a pas très longtemps. J'avais passé toute mon enfance à subir la religion chrétienne sans la comprendre. C'était tout simplement une sorte d'héritage familial incontestable, non questionnable. Non pas par peur d'aller en enfer, mais plus pour éviter d'être le presque diable, d'être son envoyé au sein de la famille. L'émancipation de ma famille était l'occasion de remettre en question cette chose qui n'était qu'un fardeau. Cela a été d'autant plus facile que j'étais porté par le nouveau courant qui sillonne l'Afrique et qui veut que le christianisme soit l'outil d’assujettissement des Africains, un outil ni plus ni moins que colonial. Ma rébellion cessait d'être une histoire entre ma petite famille et moi, une révolte personnelle contre un trop plein de culpabilité accumulée le long des années, et elle m'inscrivait maintenant dans la grande histoire de l'Afrique (celle que ne connaît pas le ntoufinga de Neuilly aka Nicolas Sarkozy).
Ce qui m'a toujours étonné, c'est la sorte de magie qui permet à des pasteurs d'extorquer à des gens pourtant pauvres, leurs maigres ressources. Et avec ce rejet de la religion chrétienne, voir cette réalité m’écœurait davantage.
Pour la deuxième petite histoire, un prêtre catholique - que ma mère avait insisté pour que je rencontre par souci pour ma santé spirituelle j'imagine - m'avait confié que même pour lui étant prêtre, la situation est difficile à comprendre. Il se l'expliquait simplement par le désespoir, le besoin irrationnel dans la faiblesse de s'accrocher fortement à quelque chose. Il m'a dit croire que les églises se videront à la vitesse de la lumière une fois que le Cameroun aura retrouvé une gouvernance qui permet aux Hommes de s'épanouir. Il m'a avoué son propre étonnement devant la pensée magique des gens. Si quelqu'un a trop de souris chez lui, il sera convaincu d'une attaque mystique, qui nécessite sa prière spéciale. Et si le prêtre lui donne un des chatons qui traînent chez lui, il faut qu'il ajoute que c'est un chaton béni. La merveille de Dieu qui a fait d'un chat un chat ne lui suffit pas. Car si Dieu avait fait le monde tel qu'il est, il ne lui resterait que la réalité comme issue. Or la réalité est agressive. Elle oppresse de ce sentiment, de cette conviction latente et indéboulonnable que quelque chose ne tourne pas rond.
Pourtant il me semble aujourd'hui que le christianisme soit la religion de la rébellion. Elle est plus guerrière que ce qu'on imagine. La religion chrétienne invite au plus grand courage qu'il soit possible d'espérer d'un soldat: aller à la guerre avec l'amour au cœur comme principale arme. Aller à la guerre non pas galvanisé par la perspective de gagner, mais sûr d'y trouver notre calvaire, et pourtant porté par la motivation de l'amour, de l'attachement à ce qui est juste et bon. Est-ce que ce n'est pas précisément ce dont nous avons besoin en tant qu'Africains, à une ère où nos armées sont faibles, nos technologies militaires sont désuètes, où sur la plupart des tableaux de compétition nous ne partons pas favoris ? Se rebeller par amour pour nous-mêmes, et par amour pour l'Humanité tant il est vrai que la prédation à laquelle il faut faire face au niveau de nos pays est la même qui gangrène le monde de différentes façons partout ailleurs.
Le problème ce n'est pas la religion en tant que telle, mais l'usage qu'on en fait: c'est la relation que l'Homme établit avec la religion. Le problème c'est qu'il se cache de sa propre vie derrière la religion. Et si ce n'est pas avec la religion qu'il aura cette relation malsaine qui lui garantit un refuge dans sa grande fuite, ce sera avec la drogue, avec l'alcool, avec le pouvoir, avec la nourriture, avec le sexe, avec n'importe quel comportement qui soit susceptible de se transformer en addiction.
Et donc ?
Et alors on fait quoi ?
Qu'est-ce que j'en sais moi ?
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